Le projet
Le projet « De bancs en bancs : les oubliés de l’espace public » a consisté en un atelier de création cinématographique porté par cinq anthropologues de l’association avec un groupe de jeunes hommes guinéens qui fréquentent une place du quartier lyonnais de la Guillotière, la « place Mazagran ». L’objectif était de construire avec eux un espace d’expression, de dialogue et de création qui soit vecteur de connaissances et de reconnaissances.
Nous avons décidé de mettre en commun nos savoirs et compétences afin de révéler le vécu intime de l’expérience migratoire, si souvent ignoré autant par les pouvoirs publics et médiatiques que par la société civile. Nous nous sommes inscrites dans une démarche d’anthropologie partagée et avons choisi de développer un processus participatif pour l’élaboration du projet. Au lieu de vouloir voir une réalité sur une situation, nous voulions que les idées émergent des habitants de cette place.
Si nous avons eu l’ambition de produire une mémoire de l’exil, il s’agissait aussi d’agir sur les représentations, les attitudes et les imaginaires envers les migrants. À travers ce film, nous souhaitions également interroger la place de ces hommes dans la ville. Nous ne rencontrons pas « des migrants » mais des personnes, installées à Lyon, avec leur passé, leurs ambitions, leurs contradictions et leurs espoirs.
Après plusieurs mois passés à découvrir la place par la pratique de l’observation participante, nous nous sommes embarquées dans une aventure réunissant un noyau dur d’une dizaine de personnes et une vingtaine de participants ponctuels. Nous avons commencé les ateliers en juin 2017 : une quinzaine de séances divisées en différentes phases, et de nombreux repas partagés.





Nous avons d’abord proposé des séances d’échange autour de la narration cinématographique à partir du visionnage de films de cinéma du réel et d’extraits de productions audiovisuelles sur le sujet de la migration. La comparaison avec le reportage télé et la fiction nous a permis d’aborder la spécificité du cinéma documentaire en particulier dans son rapport au temps : le temps de préparation, le temps passé avec les personnages, le temps laissé à la parole dans le montage final. Ces visionnages ont également permis de transmettre les règles de base du langage cinématographique.
La deuxième phase a été consacrée à la découverte et la prise en main du matériel de tournage. Les participants ont été initié aux bases techniques de cadrage et de prise de son et ont réalisé différents exercices en situation de tournage. Les exercices pratiques ont été réalisés à proximité de notre local associatif et sur la place Mazagran et dans ses alentours. Nous avons déambulé au sein du quartier de la Guillotière mais aussi de la Part-Dieu. Ces exercices ont suscité des rencontres et de l’interconnaissance puisqu’ils ont été des occasions d’interviewer les habitants et les commerçants du quartier.
Nous sommes ensuite entrés dans une phase d’écriture collective au cours de laquelle nous avons eu de nombreuses discussions autour de la migration, de la situation politique, sociale et économique de la Guinée, du fantasme de l’aventure en Europe, du racisme, de la désillusion. Ces échanges ont constitué pour nous de précieuses occasions de recueil de témoignages. Afin de concrétiser le « mode de représentation » audiovisuelle choisi pour parler de la réalité de la migration, nous avons pris une série de décisions de façon collective. Lors de la première phase de construction de la structure argumentaire et du pré-scénario du documentaire, ce sont les participants qui ont choisi les étapes qu’ils leur paraissaient représentatives de leurs parcours. Nous avons fait le choix de baser le film sur la parole, sur des faits et des informations descriptives et biographiques et avons décidé de structurer le film de façon chronologique : avant le départ, le voyage, la situation en France.
Après avoir imaginé un dispositif dans lequel les participants iraient à la rencontre d’autres migrants et demandeurs d’asile pour les interroger sur leurs vécus, nous avons finalement décidé collectivement que les participants de l’atelier seraient les acteurs du film et qu’ils donneraient eux-mêmes leurs témoignages à la caméra. Ils ont donc été à la fois témoins, techniciens (cadreur et preneur de son) et interviewer lors des entretiens filmés. Le tournage s’est ensuite étalé sur plus d’une année.
Pour des raisons de complexité technique et de disponibilités des uns et des autres, la phase concrète de montage et de post-production n’a pas pu se faire collectivement, nous avons organisé des visionnages avec les participants lors desquels nous avons partagé des décisions concernant les choix des séquences.
Cette aventure improvisée a abouti à un film de 54 minutes intitulé « Quand le poisson sort de l’eau » et à un « film bonus » de 22 minutes retraçant le processus des ateliers.
Le projet « De bancs en bancs » a reçu en 2019 le Prix de la Recherche Participative de la Fondation de France.